Brieulles-sur-Meuse, Résidence prémontrée
Histoire
Si les prémontrés desservent l’église de Brieulles depuis au moins 1181, l’installation d’une « église et maison » de l’ordre dans la localité résulte de la volonté testamentaire d’Anne de Chicolet, épouse du « seigneur en partie de Brieulles-sur-Meuse », en date du 5 décembre 1632. Cette fondation s’inscrit dans le dynamisme monastique des 17e et 18e siècles. Le contexte est alors défavorable en raison de la guerre de Trente Ans et de la Fronde. Ces temps troublés expliquent peut-être que le chantier ne date que de 1642. Par manque d’argent l’édification de la chapelle ne débute qu’en 1683. Dans le premier tiers du 18e siècle, la « résidence » est tout aussi un établissement conventuel qu’une exploitation agricole, les prieurés prémontrés ayant dès l’origine vocation à s’occuper des travaux des champs. Le chapitre annuel de 1751 acte la reconstruction de Brieulles qui commence immédiatement pour s’achever en 1756. L’architecte est inconnu mais on peut raisonnablement le supposer issu de l’ordre, les prémontrés ne manquant pas de talents dans ce domaine. 1790 voit la dissolution des communautés religieuses. Par la suite, les morcellements et les guerres ont dénaturé Brieulles dans sa structure et l’avenir du bâtiment fut longtemps incertain. Classé Monument Historique en 1994, l’endroit est depuis restauré.
Architecture
L’architecte inconnu a dessiné un plan régulier en L. L’édifice est bâti en pierre de taille, matériau le plus recherché pour ce type de chantier, surtout en Lorraine, pays de pierre. Ici, la concordance est établie entre le rendu recherché, fait de classicisme et de majesté, et les matériaux qui favorisent le dessin d’une certaine grandeur, renforcée par le plan. L’étagement se compose d’un sous-sol comportant des caves voûtées, d’un rez-de-chaussée légèrement surélevé et d’un étage carré. Les niveaux sont soulignés par un cordon courant sous les fenêtres du rez-de-chaussée et un bandeau sous les fenêtres de l’étage. L’élévation principale symétrique compte 13 travées. La 7e travée est marquée par deux pilastres doriques sommés de triglyphes* enserrant une porte en plein cintre moulurée surmontée d’une agrafe*, peut-être en attente. À l’exception de la fenêtre surmontant la porte, toutes les fenêtres sont à linteau en arc segmentaire* avec agrafe montante. Souligné d’une corniche moulurée en pierre, le toit à longs pans et croupe* est couvert d’ardoise. Un parti pris identique se retrouve sur l’élévation nord. Le décor quasi inexistant tient à la sculpture et à la ferronnerie. L’austérité architecturale du bâtiment s’explique par la spiritualité prémontrée autant que par le statut d’établissement rural.
La porte de la façade principale et sa travée
Selon un parti-pris courant du temps, le décor sculpté se concentre autour de la porte principale de l’édifice. Pas d’exubérance ici. Le lieu est une résidence rurale d’un ordre religieux tourné vers la pauvreté. D’autre part, l’architecture classique du 18e siècle exprime ici sa retenue. La porte en plein cintre avec moulures continues en table est surmontée d’une agrafe*, peut-être en attente. Deux pilastres doriques se prolongeant à l’étage supérieur encadrent la composition. Ils délimitent une frise de triglyphes*. Le décor se complète des ventaux* moulurés de la porte piétonne et du garde-corps en ferronnerie placé devant la grande fenêtre en plein cintre du premier étage.
Les fondateurs de Brieulles, de pieux laïcs au temps du Grand Siècle
La création de la résidence des prémontrés de Brieulles n’est pas un acte anodin : elle s’inscrit dans la spiritualité de ses initiateurs, Anne de Chicolet et Pierre de Cadenet, seigneur de la localité avec le duc de Lorraine et le prince de Condé. Il s’agit d’une fondation testamentaire, geste renvoyant aux dernières volontés du testateur, ses ultimes souhaits avant de quitter ce monde. Ce désir traduit une foi vive, qu’illustrent d’autres aspects de la vie des fondateurs. Tout d’abord le souhait que leur œuvre soit consacrée à la formation des clercs sous la forme d’un séminaire ou d’un noviciat. D’autre part, les fondateurs prévoient qu’en cas d’impossibilité du projet initial ou de départ des religieux, les dispositions testamentaires profiteraient aux minimes de Dun-sur-Meuse, une des composantes de l’ordre franciscain. Or, Pierre de Cadenet est gouverneur de la localité, dont la cure et la nomination du curé relèvent du prieur minime. Et les franciscains sont alors parmi les meilleurs ouvriers de la réforme catholique. D’autre part, dans ses testaments successifs, Pierre de Cadenet partage ses bienfaits entre les prémontrés de Brieulles et la congrégation de l’Oratoire de Paris, autre institution très active dans la vie spirituelle du Grand Siècle. Qui plus est, Anne de Chicolet précise dans son testament vouloir que trois messes soient célébrées toutes les semaines du Saint-Esprit, de la Vierge et des Trépassées et aux quatre temps de l’année vigile pour le salut de son âme et de celle de ses parents et amis trépassés. Elle joint à ces dispositions un don de vingt livres à chacune des trois églises de Brieulles. Si de telles dispositions ne sont pas rares, il convient de le souligner car elles constituent un marqueur supplémentaire de la foi de la testatrice. Après le décès de son épouse, Pierre de Cadenet intègre la congrégation de l’Oratoire, devient prêtre et, en tant que tel, conseiller et aumônier du roi. Son souhait de réaliser, le moment venu, une bonne mort, c’est-à-dire en acceptant par avance les éventuelles souffrances liées au trépas et sa volonté d’éviter une éventuelle mise en commende* du nouvel établissement de Brieulles illustrent de hautes exigences spirituelles. Au regard de ces éléments, il apparaît que les époux appartiennent au milieu dévot.
* Triglyphes : panneau orné de deux cannelures biseautées (les glyphes) encadrées par deux demi-cannelures (les demi-glyphes).
* Agrafe : ornement placé au sommet d’une baie.
* Arc segmentaire : demi-cercle maçonné ou en pierres qui vient enrober une ouverture d’un bâtiment (porte, fenêtre…).
* Croupe : versant de toit qui réunit les deux pans principaux d’un toit à leur extrémité.
* Ventaux (sg. ventail ou vantail) : partie mobile d’une porte, équivalent de « battant ».
* Commende : concession d’un bénéfice à un ecclésiastique séculier ou à un laïc.
Textes rédigés par Philippe Masson