Saint-Pierre-et-saint-Paul de Jovilliers
Histoire
Vers 1132, Geoffroy III de Joinville, sénéchal de Champagne, son épouse et son frère font le don des biens qu’ils possèdent à Jovilliers à l’abbé de Riéval, Herbert. Celui-ci y envoie Raymond, moine, pour fonder une nouvelle abbaye prémontrée. La construction des premiers bâtiments remonte à 1142 et dès cette date, l’abbaye reçoit lettres de confirmation et privilèges de la part des papes (Innocent III, Alexandre III et Lucius III). L’église abbatiale est édifiée sous le vocable de Saint-Pierre-et-Saint-Paul. L’abbaye connaît un essor important tout au long du Moyen Âge.
D’abord pillés par les protestants en 1592, les lieux sont occupés par des troupes qui achèvent de les détruire entre 1651 et 1661. L’abbaye connaît alors un renouveau, tant spirituel avec le retour à la règle de l’Antique Rigueur* dès 1672, que matériel avec la reconstruction des bâtiments à partir de 1720 (bâtiments conventuels, puis église). Le 5 mai 1790, l’inventaire des biens de l’abbaye est dressé et les religieux quittent le site au mois d’octobre. L’église est démontée (sauf la façade) et le reste du domaine est transformé en exploitation agricole. Depuis 1988, l’association « Jovilliers Échanges et Culture » œuvre pour faire vivre l’abbaye en proposant des manifestations et en mettant en valeur son patrimoine.
Architecture
Malgré les destructions subies au fil du temps, le périmètre de l’abbaye est encore lisible. La façade de l’église, une partie du cloître, deux ailes des bâtiments conventuels et la basse-cour subsistent. L’unité architecturale se traduit par l’usage uniforme de la pierre de Savonnières appareillée et une grande austérité. Le carré claustral ne se distingue pas des communs.
Placé au sud de l’église, le cloître a conservé ses galeries ouest et sud. Il conduit au logis abbatial dans lequel plusieurs pièces en enfilade présentent une partie de leur décor : une belle salle-à-manger baroque chauffée par une cheminée datée de 1731, trois autres pièces parquetées dont l’une a deux trumeaux représentant des scènes champêtres, une autre avec un pélican ouvrant ses entrailles pour nourrir ses petits et la dernière cachant une pièce secrète.
À l’étage, il y a des chambres spacieuses pour recevoir les invités du Père Abbé.
Sous les bâtiments, les caves voûtées portent les traces des fondations médiévales. Elles se composent d’un chauffoir*, d’un four à pain et de réserves pour les légumes et le vin.
Avec ses deux tours carrées massives, sa partie centrale resserrée et de forme concave très prononcée et ses pilastres aux chapiteaux à peine ébauchés, la façade mêle style grec, classicisme et réminiscences du baroque de l’est de l’Europe.
La cour des communs
Dominée par la façade de l’ancienne église abbatiale, la cour des communs présente un ensemble de basse-cour du 18e siècle unique en Lorraine avec écuries, granges et remises aux façades en pierres de taille appareillées. Ces bâtiments solidement bâtis gardent les traces de parties voûtées. Au centre de cette cour se trouve un puits du 18e siècle. Profond de 16 mètres, il fournissait l’eau potable nécessaire aux besoins des occupants, comme l’indique une description de l’abbaye du 21 janvier 1730 : « on y a de l’eau que par un beau et gros puits, l’eau y est fort bonne ». Placé sur la gauche de la façade de l’église, il est abrité par une remarquable charpente en arbalétrier*, couverte d’ardoises.
Les conséquences de la Révolution françaises pour les abbayes
La Révolution française a occasionné de nombreux changements dans la société et a profondément modifié la vie religieuse et l’existence des abbayes est menacée : la mise à disposition de la Nation des biens du clergé et la suppression des ordres religieux réguliers sont décidées entre novembre 1789 et février 1790. Dans la Meuse, les moines et chanoines quittent les abbayes et ces dernières sont très souvent vendues ou démantelées.
À Jovilliers, des commissaires nationaux se présentent le 5 mai 1790 pour dresser l’inventaire des biens et interroger les religieux qui abandonnent les lieux en octobre de la même année. L’abbaye est alors vendue comme bien national au prix de 110 500 livres et devient une simple exploitation agricole. Les ouvrages et les archives partent à Bar-le-Duc. Joseph de Weindel, premier propriétaire, vend aux enchères l’église abbatiale en 1794 : Auge Maizière s’en sert comme pierrier et seules les deux tours échappent à la démolition.
Début mai 1791, une vente disperse le mobilier de l’abbaye et l’on peut, comme dans de nombreux autres cas, en retrouver des éléments dans les villages alentour. L’orgue revient à la commune de Saint-Dizier qui la cède à celle d’Éclaron (Haute-Marne), une cloche est acquise par la commune de Dammarie-sur-Saulx en 1794, le maître-autel avec le tabernacle et les chandeliers ainsi que la statue du 12e siècle en bois, Notre Dame de Nantel, prennent place dans l’église de Stainville et les confessionnaux sont répartis entre Juvigny-en-Perthois et Rupt-aux-Nonains. Ces inventaires révolutionnaires permettent aux historiens de mieux connaître les possessions de ces abbayes.
* Antique Rigueur : réforme instituée dans la suite du concile de Trente dans l’ordre prémontré par Servais de Lairuelz. Les principes de base de la vie monacale sont réintroduits : jeûne, abstinence, mise en commun des biens, etc.
* chauffoir : pièce commune d’un monastère où l’on peut se chauffer.
* arbalétrier : pièce de bois essentielle de la ferme de charpente, c’est-à-dire de l’assemblage triangulaire de poutres qui s’élève à la verticale sur toute la longueur du toit. De forme oblique, elle garantit la stabilité de la toiture.
Textes rédigés par Stéphanie Jeanson